Tim Berners Lee a exprimé à de multiples reprises sa déception par rapport à l’évolution du worldwide web, segmenté en silos et plateformes propriétaires, aux antipodes de la philosophie de ses pionniers.Vingt-neuf ans après l’avènement du worldwide web, à l’heure ou plus de la moitié de la population mondiale est désormais en mesure de se connecter à l’internet, Tim Berners Lee vient de partager une lettre ouverte dans les pages du journal britannique The Guardian, où il s’inquiète de l’instrumentalisation du web à des fins malicieuses.

Tim Berners Lee, l’inventeur du worldwide web.
On assiste depuis quelques années à une concentration accélérée des revenus et donc du pouvoir au bénéfice d’une poignée d’acteurs, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), auxquels on pourrait ajouter Twitter. Nombreux sont aujourd’hui les utilisateurs pour qui Facebook est devenu une sorte d’internet propriétaire, le terrain quasi exclusif de leur expérience en ligne, avec les dérives que l’on connaît, amplifiées par le phénomène largement documenté de la Bulle de Filtres (Filter Bubble).
Amazon est pour beaucoup devenu la destination préférée lorsqu’il s’agit de faire un achat en ligne, imposant des conditions souvent tendues à ses fournisseurs/partenaires. Tandis que Google, à travers ses différents produits (Search, Maps, Chrome,…) est désormais leader incontesté dans de nombreux secteurs, bénéficiant souvent d’une situation de quasi monopole.
Loin d’être fataliste, Tim Berners Lee s’investit depuis 2016 dans un nouveau projet d’envergure, en collaboration avec le MIT, pour tenter d’apporter un début de solution à l’hyper concentration des données personnelles aux mains d’un oligopole.
Solid – c’est le nom de ce nouveau projet porté par le fondateur du WWW – est un protocole qui vise à redonner à chaque utilisateur le contrôle de ses données, en complément de l’infrastructure existante du worldwide web.
Solid est une initiative pour le moins ambitieuse, rendue possible par les récentes évolutions du cloud, notamment dans la décentralisation du stockage des données. Nous évoquions récemment la possibilité pour un navigateur de devenir le hub de partage de l’identité en ligne, en totale indépendance par rapport aux plateformes propriétaires.
C’est l’esprit qui anime Solid, dont les concepteurs envisagent également de donner la possibilité aux utilisateurs d’héberger eux-mêmes leurs données, sur un cloud personnel. Chaque profil individuel serait ainsi découplé des applications, évitant le phénomène de “lock in” qui a fait la fortune des acteurs hégémoniques du web hyper centralisé.
Tim Berners Lee tient à balayer deux idées reçues qui constituent selon lui les principaux obstacles au changement: le mythe (solidement ancré) selon lequel la publicité serait la seule option économique pour de nombreux acteurs du web et l’excuse un peu facile qui voudrait qu’il soit aujourd’hui trop tard pour modifier radicalement le fonctionnement des mastodontes du web.
Toutes les dérives que l’on déplore ne sont selon lui que des bugs informatiques frappant des logiciels créés par l’homme, qui est donc en mesure de les corriger, à condition bien entendu de le vouloir et d’y consacrer l’énergie nécessaire.
Il est urgent de relancer l’innovation pour connecter un jour l’entièreté de l’humanité au WWW, dans l’esprit d’ouverture qui fut celui des concepteurs de ce formidable outil de partage et de découverte.
Il est encore temps de sauver le web des affres de l’instrumentalisation et de lui rendre ainsi ses lettres de noblesse. Mobilisons-nous pour y parvenir !